Argumentaire du colloque 2018

39e colloque du Centre de Recherche et d’Échanges sur la Diffusion et l’Inculturation du Christianisme (CREDIC)

Mission du rite et rites en mission

des années 1960 à aujourd’hui

Dates : 26 - 30 août 2018

Lieu : Liebfrauenberg (Goersdorf, Bas-Rhin)

Avec le concours des Équipes d'Accueil n°4377 (catholique) et n°4378 (protestante) de l'École Doctorale « Théologie et sciences religieuses » (ED270) de l'Université de Strasbourg

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Thématique et démarche

L’universalité du rite est aujourd’hui une donnée élémentaire, quels que soient les domaines sur lesquels il s’exerce. Difficile de s’en débarrasser sans qu’un autre, de substitution, apparaisse ! Son immuabilité et son irréductibilité fondamentale sont reconnues comme étant intrinsèquement liées à ce que chaque individu vit dans le déroulé de son existence comme à son besoin d’être pleinement reconnu par sa collectivité, cette dernière vivant simultanément de ses rites identificatoires.

Pour autant, le sujet est vaste et d’une si désarmante complexité à étudier que des anthropologues comme Roger Bastide et Alfred Métraux n’ont pas hésité à qualifier les rites de formidables « théâtres », avec leurs metteurs en scène, leurs décors, leurs accessoires, leurs scénarios bien orchestrés et cadrés, leurs acteurs, figurants et spectateurs, alors que d’un tout autre point de vue, Mary Douglas traite les rites de formidables opérateurs « hygiéniques » de prévention, de purification et de conjuration des avatars de la souillure devant le sacré.

L’intérêt de reprendre la question sous l’angle « mission du rite et rites en mission » apparaît d’autant passionnant qu’il ne s’agira pas d’en revenir ici à l’étiologie et à « l’ontologie » du rite. La démarche proposée sera bien plutôt de traiter les interactions des rencontres entre missionnaires et missionnés sur ce terrain et d’observer les solutions que chacune des parties a pu préconiser, adopter voire inventer.

Au regard de la thématique proposée, ce 39e colloque du CRÉDIC se veut résolument pluridisciplinaire. Il croisera les données et travaux des anthropologues, sociologues, historiens, théologiens, missiologues, touchant la périodisation mentionnée, et pourra se frotter à toutes les aires géographiques et culturelles, y compris européennes. L’énoncé du titre en indique tout de suite la double perspective. Jouant volontairement sur l’emploi laïque et religieux du terme « mission », il insiste sur leurs liens insécables en contexte missionnaire ; à savoir que la mise en évidence de la fonction anthropologique du rite, et donc sa mission laïque, a toujours été aux prises, d’une manière ou d’une autre, avec les reprises théologiques appliquées en terrains missionnaires.

Mise en perspective

Dans une perspective anthropologique, celle de la mission du rite, les rites sont appréhendés à la façon de règles de conduite structurantes contribuant à la vie sociale et psychique des individus. Ils les guident ainsi du « berceau à la tombe », comme en parlait Arnold Van Gennep en 1969, avançant le label de « rites de passage » pour souligner que chaque existence humaine relève d’acquisitions successives de nouveaux statuts (principalement à la naissance, à l’adolescence, au mariage et au décès). De fait, pour ce qui nous concerne, le rite, qui fait partie de l’outillage anthropologique profane, peut être mis à profit pour exprimer du religieux sous toutes les formes (ce qui ne veut pas dire que tout ce qui est religieux relève du rite ni d’ailleurs le contraire). Aussi réitère-t-il, en les rendant toujours à nouveau présents, soit un marqueur mythique fondateur, soit l’action d’un Ancêtre vénéré, soit la geste et les paroles du Dieu révéré. La question restant de savoir sur quoi ou qui reposent la validation et l’efficacité du rite.

Dans une perspective missiologique, celle des rites en mission, le rite n’a cessé de questionner l’Église. Pas seulement en tant qu’il est un élément essentiel de sa vie sacramentelle et religieuse, mais bien plus simplement parce que dans le mouvement même généré par sa mission, l’Église, porteuse de ses propres rites a toujours été appelée à rencontrer des sociétés humaines également nanties des leurs. Ce sont donc les problématiques soulevées par ces rencontres qui seront au centre de nos débats, tant les Églises missionnaires se sont souvent retrouvées bousculées entre deux tensions contraires : soit par un conservatisme cultuel propre à sédimenter leurs rites, soit par un minimalisme rituel risquant de diluer la singularité de leur message. Elles ne peuvent cependant oublier que la préhistoire chrétienne de ses deux rites majeurs que sont le baptême et l’eucharistie furent le produit d’emprunts comme de réinterprétations de rites hébraïco-judaïques, ce qui a toujours été propre à stimuler la donne des contextualisations et des inculturations rituelles en lien avec les terreaux culturels accueillant leurs missions. Elles savent par expérience que s’y refuser risque immanquablement de voir émerger, sous apparence chrétienne, nombre de « rites caméléons ».

Périodisation

Pour ce qui concerne la période abordée, ce colloque propose de concentrer ses travaux sur une prise en compte des rites missionnés générés à partir des années 1960. En effet, ces dernières ont été marquées par l’accès progressif à l’indépendance des peuples autrefois colonisés allant conséquemment de pair avec la résurgence des religions dites « traditionnelles ». Ces années-clés, scandées par de fortes revendications culturelles, ont changé la donne missionnaire et rebrassé les cartes des modes d’engagement. Rappelons que les années 1960 furent également marquées par l’avènement des théologies de la libération et du Tiers-monde, par celui des théologies noires et féministes, par la naissance du concept d’inculturation (Joseph Masson, 1962), par le décret conciliaire Ad Gentes (1965) abordant la révélation naturelle, par la théorisation du concept de contextualisation (recommandé par le COE en 1972), et surtout par l’éclat de la Conférence missionnaire mondiale de Bangkok (1973) qui mit en avant le rôle des Églises locales, la fin des concepts d’adaptation et d’indigénisation, le droit à l’identité culturelle. Des reproches provenant principalement de la part des Églises d’Asie et d’Afrique et qui seront encore renforcés par celles d’Amérique Centrale et du Sud lors de la dernière Conférence missionnaire du XXe siècle tenue à Salvador de Bahia (1996) traitant de l’Évangile dans les différentes cultures.

Dans ce contexte – et cette périodisation s’étendant encore jusqu’à aujourd’hui –, dénicher, décrypter, analyser et exposer nombre de cas exemplaires et probants traitant de notre problématique, « mission des rites et rites en mission », nous paraît ici un champ déjà suffisamment large et riche de réflexions pour ne pas se laisser déborder.

Axes d’approche

Si l’introduction thématique générale sera assumée par la direction scientifique, seront particulièrement prises en compte les communications abordant les cas les plus inédits, originaux et pertinents pouvant s’inscrire dans les quatre axes suivants :

Axe 1

Cas classiques de rites chrétiens véritablement repensés, recontextualisés, inculturés voire réinterprétés et parfois même appelés à être inventés en fonction des demandes, des besoins, des situations singulières ou des biotopes géoculturels et alimentaires (cf. les débats concernant les espèces eucharistiques tant en Afrique qu’en Asie et en Polynésie), soit par les agents et acteurs missionnaires, soit par les Églises indigènes postulant continuité ou correspondance avec leurs anciennes croyances et leurs marqueurs symboliques. Pensons en particulier aux « rites de passage » sacramentels ou de bénédiction touchant la naissance (baptême versus rites de précaution), l’adolescence (première communion ou confirmation, ou baptême des jeunes adultes versus rites d’initiation), le mariage (par ex. versus union maritale avec des entités spirituelles), les décès et funérailles (notamment versus service aux ancêtres).

Axe 2

Cas de rites chrétiens dédoublés, cachés, caméléons, en tant que réinvestis et syncrétisés par les nouveaux convertis dans le cadre même des Églises, leur permettant de tenir secrètement une double appartenance (d’autant en situation de conversion groupale ou imposée). On pense aux reprises « magiques » préventives et protectrices bien connues, attribuées aux nombreux rites ecclésiaux sacramentels, de même qu’à ceux des rites de bénédictions (avec leur matérialité telle, par exemple, l’eau bénite) prodigués en régime catholique (objets, maisons, véhicules, rameaux pascaux, etc.) permettant, en catimini, de renforcer encore le « travail » des praticiens locaux (ce qui amena à Maurice, par exemple, une réflexion sur l’inculturation des bénédictions en monde populaire). Mais on peut penser également aux rites chrétiens doublés par les fidèles autochtones d’un rite traditionnel ajouté, comme c’est parfois le cas lors de services funèbres honorant tel ou tel missionnaire marquant.

Axe 3

Cas de rites locaux enrichissant les rites chrétiens et cas de rites chrétiens enrichissant les rites locaux. On pense ici aux pratiques rituelles locales (avec leurs « artefacts » scéniques, matériels, liturgiques, gestuels, posturaux, etc.) pouvant être réinvesties dans le cadre des Églises de marges (par exemple Église du christianisme céleste, kimbanguisme, Église universelle du Royaume de Dieu, néopentecôtismes, etc.), ou aux cas de rites chrétiens réinvestis dans le cadre des religions des sociétés anciennement esclavagisées et colonisées (cf. certains éléments rituels du vaudou ou du candomblé fruits de bribes de rites de cultes africains ayant absorbé, en les réinterprétant, les bricolant ou les détournant, des rites du catholicisme colonial dominant).

Axe 4

Cas de rites laïcisés ou de néo-rites laïcs de remplacement, soit décalquant ou plagiant les rites chrétiens (cas de plus en plus courant des mariages et des services funèbres par exemple), soit interrogeant le christianisme par leurs tenues largement religieuses (cf. les rites de Nouvel An des traditions asiates annulant les dettes morales, ceux dudit « retournement des morts » à Madagascar, du pacte du sang en Afrique de l’Ouest ou des rites du kava toujours si présents à Fidji jusqu’aux « grandes messes » sportives ou politiques ritualisées engageant à de nouveaux chemins de missions).

Direction scientifique :

Philippe Chanson : philippe.chanson[at]unige.ch

Erick Capko : ecakpo[at]yahoo.fr

Le bulletin d'inscription au colloque peut être téléchargé ici.