Colloque de Yaoundé 2013

Considérations générales et périodisation

L’année 2010 a été récemment consacrée à la célébration du cinquantenaire des indépendances dans la majorité des pays africains. L’événement reste d’actualité[i]. À l’occasion de ces commémorations, des colloques ont été organisés. Mais on a rarement fait allusion aux autonomies institutionnelles des Églises chrétiennes et à leur autochtonie culturelle et religieuse. Or, dans bien des cas, ces processus ont été un prélude aux indépendances des jeunes nations africaines et à la construction de leur identité politique. Inversement, les indépendances ont favorisé, dans une moindre mesure, selon les lieux, les contextes historiques et les traditions ecclésiastiques, soit l’achèvement du côté protestant, soit l’accélération du côté catholique, de la passation des pouvoirs des Missions aux Églises locales[ii].

Les processus d’autonomie et d’autochtonie des Églises et d’indépendance des États s’étant déroulés pratiquement au même moment dans la plupart des pays du Sud (Asie, Afrique, Pacifique), on superpose, voire on confond souvent les deux événements, alors que l’un est politique et l’autre ecclésiastique. Or, s’il ne faut pas les confondre, on ne peut les isoler ni l’un de l’autre, ni des périodes qui les voient émerger, ni enfin du contexte global dans lequel ils se déploient.

- C’est à la période pré coloniale déjà, que le projet d’autonomie et d’autochtonie des Églises missionnaires est envisagé, tant du côté catholique que du côté anglican et protestant. Sans remonter à celle de 1659, l’instruction de la Propagande Neminem Profecto de 1845, comme celles du directeur de la Church Missionary Society (anglicane) de 1851, prônaient la formation d’un clergé indigène, pour qu’émerge une Église locale responsable de son destin et pour que la foi s’enracine dans la culture.

- À la période coloniale, malgré le retard, voire l’ajournement de ce projet, de nouvelles instructions, tant de la Conférence universelle des Missions anglicanes et protestantes d’Édimbourg en 1910, que du pape à travers la lettre encyclique Maximum Illud en 1919, rappellent la nécessité de poursuivre la promotion du clergé indigène en vue de la formation d’une Église locale rattachée à l’Église universelle.

- L’expression « Églises autochtones particulières » apparaît officiellement dans le décret conciliaire Ad Gentes du 7 décembre 1965 (AG n°6) récapitulant ainsi la tradition missionnaire millénaire de la plantatio ecclesiae. Pour y parvenir, ces Églises doivent être enracinées dans la vie sociale, avoir épousé certaines formes de la culture locale, jouir d’une certaine stabilité, disposer de ressources propres, être dotées de ministères religieux et laïcs sous la conduite d’un évêque propre (AG n°19). Alors que, du côté anglican et protestant, la Conférence des Églises de toute l’Afrique réunie à Ibadan en 1958, s’était réjouie de la marche en avant des pays africains vers l’indépendance, sachant que le processus d’autonomie des Églises d’Afrique avait, lui, commencé, l’année précédente, et dix ans auparavant en Asie.

La prise de parole des « jeunes Églises » annonce la fin d’une époque missionnaire étrangère et le commencement d’une autre histoire, au cours de laquelle, les missionnés africains, asiatiques, latino-américains et océaniens d’hier sont appelés à devenir à leur tour des missionnaires dans leur pays, et ailleurs également. Dans le monde protestant, les Sociétés missionnaires étant provisoires à l’image d’un « échafaudage », elles connaîtront de profondes transformations, certaines disparaîtront alors que, dans le monde catholique, les Congrégations missionnaires participeront à la « fondation » de l’édifice ecclésial tout en se renouvelant également.

Perspectives pour le colloque de Yaoundé

À partir de ces quelques clarifications préliminaires sur les notions d’autonomie et d’autochtonie de l’Église, le colloque du CREDIC de 2013, voudrait revisiter les différentes étapes du passage des Missions aux Églises autonomes/autochtones, esquisser un bilan provisoire du développement de celles-ci du XIXe jusqu’au début du XXIe siècle ; il s’agit de poursuivre la réflexion déjà engagée par le CREDIC sur ces sujets sous les regards croisés et dépassionnés d’intervenants du Nord et du Sud, spécialistes du fait missionnaire sous l’angle de diverses disciplines, ou acteurs de la mission[iii].

Il s’agira de montrer, à partir des cas précis et stimulants, comment on est passé du temps des Missions étrangères à celui d’Églises autonomes (en régime protestant) ou particulières (en régime catholique). On essayera de décrypter la réception de cet héritage par les missionnaires et les missionnés, de confronter les théories et les pratiques de l’autonomie, d’analyser les pesanteurs et les contraintes du passage de la dépendance missionnaire à la responsabilisation des Églises autochtones et l’évolution des rapports entre Missions et nouvelles Églises locales. Il est nécessaire d’y revenir, pour comprendre comment la diffusion du christianisme post missionnaire se fait dans les nouveaux réseaux missionnaires.

L’approche historique attendue pour traiter cette thématique sera comparative et pluridisciplinaire (missiologique, théologique, politique, juridique, sociologique, anthropologique, etc.). Elle permettra de comprendre les faits dans le triple contexte de la colonisation, la décolonisation et l’après-indépendance d’anciens territoires coloniaux et champs missionnaires d’Afrique et Madagascar, d’Asie, d’Amérique latine et d’Océanie.

Il conviendra de ne pas négliger de récents processus d’autonomie et d’autochtonie des Églises surgis des mouvements de réveil des Églises protestantes et de renouveau de l’Église catholique à la fin du XXe siècle. On pourra notamment se demander, dans quelle mesure ces mouvements se rattachent ou pas aux Missions et aux Églises qui les ont précédés, dès lors qu’ils réactivent un esprit prosélyte de la mission et autonomiste de l’Église et qu’ils contribuent à la recomposition du paysage ecclésial.

La réflexion du colloque se déroulera autour de quatre axes :

1 – Approches théoriques : typologies des autonomies/autochtonies ecclésiales en perspectives protestante et catholique.

- Églises autonomes et Églises autochtones particulières : définitions et contextualisation de ces notions (ex : contexte colonial et post-colonial allemand, britannique, français, portugais, sud-africain, etc.) ;

- Objectifs et stratégies de création d’Églises autonomes en contexte protestant et des d’Églises autochtones particulières en contexte catholique ;

- Logiques de localisation et de mondialisation : comment chaque tradition articule dimension locale et dimension universelle de l’Église ?

- Typologie de l’autonomie et de l’autochtonie ecclésiale et religieuse : types de planification, de négociation, de contractualisation, de dévolution des biens et des responsabilités (partielle/totale), etc.

- Périodisation du processus d’autonomie et d’autochtonie : rythme du processus, avancées et retards, préalables, ruptures, etc.

- Études des sources socioculturelles locales du processus.

2 – Études de cas en contextes pré-colonial, colonial et post-colonial

- Cas de relèves planifiées et négociées des missionnaires dans les années 1950-1960 (ex : arguments en faveur de l’autonomie des Églises protestantes par les Sociétés de mission et de l’érection de diocèses par l’Église catholique) ;

- Cas de relèves conflictuelles des missionnaires par les autochtones (ex : la Native Baptist Church of Cameroon ) ;

- Expériences et évaluation des tentatives de moratoire (ex : l’Église de Jésus-Christ à Madagascar – FJKM) ;

- Autonomie/autochtonie des Églises et indépendance politique des États : divergences et convergences. Perception des cadres locaux promus : prolongement du temps colonial et missionnaire ou avènement de temps nouveaux ?

- Types ou modèles d’autonomie et d’autochtonie dans les diverses traditions ecclésiales (anglicane, protestante, pentecôtiste, catholique, etc.) à différentes périodes et dans différents contextes.

3 – Défi de la gestion des Églises autonomes/autochtones nées de la mission : entre théories et pratiques

- Quelle réception des autonomies/autochtonies ecclésiales et religieuses du côté des missionnés ? Points de vue d’autres acteurs (ex : autorités politiques, etc.) ;

- Conséquences dans le Nord du processus d’autonomie/autochtonie du Sud : « mission accomplie » ou « mission en retour » ?

- Domaines concernés par l’autonomie/autochtonie : spiritualité, théologie, liturgie, diaconie, pastorale, gestion, etc.

- Mise en œuvre de la relève missionnaire dans les Églises : implication des acteurs locaux (responsables des institutions, communautés chrétiennes de base, associations de femmes et de jeunes) dans la conception et la réalisation des projets porteurs d’autonomie/autochtonie.

4 – Les Églises autonomes/autochtones dans la dynamique des réseaux de coopération missionnaire

- Initiatives autochtones dans la refondation d’anciens ou la constitution de nouveaux réseaux missionnaires locaux, nationaux, continentaux (ex : Conférence des Églises de Toute l’Afrique - CETA) et internationaux (Conseil Œcuménique des Églises - COE, Communauté des Églises en mission - CEVAA) du côté protestant ; et du côté catholique : associations de coopération missionnaire, conférences épiscopales, synodes continentaux ;

- Impact de ces réseaux sur les jeunes Églises et les populations des États indépendants en quête d’unité nationale et de promotion du développement ;

- Mise en perspective de cette coopération missionnaire renouvelée dans le contexte des nouveaux rapports Nord/Sud et Sud/Sud : renouveau œcuménique, promotion de l’interreligieux, conséquences politiques, etc.

- Effets des transformations sur les institutions de formation missionnaire : changements d’orientation et de charisme, création/transfert de nouveaux lieux de formation, etc.

[i] Le Cameroun, qui accueille pour la première fois un colloque du Credic en Afrique, est un pays bilingue. La partie du territoire sous administration française accède à l’indépendance le 1er janvier 1960, puis le 1er octobre 1961, c’est le tour du Cameroun britannique. Le cinquantenaire de ces deux événements sera clôturé cette année, par les festivités marquant la commémoration de la réunification (1er octobre 1961) de ces deux territoires autrefois séparés par la colonisation.

[ii] Claude Prudhomme, Missions chrétiennes et colonisation, XVIe-XXe siècle, Paris, Cerf, 2004, p. 155.

[iii] Parmi les travaux des sessions antérieures du CREDIC ou des auteurs qui en sont membres, on peut citer : Marc Spindler (dir.), Des missions aux Églises : naissance et passation des pouvoirs, XIIe-XXe siècle, session du CREDIC de 1989, Lyon, Université Jean Moulin et Université catholique, 1990 ; Claude Prudhomme et Jean François Zorn (dir.), Missions chrétiennes et formations des identités nationales hors d’Europe (XIXe-XXe siècle), session du CREDIC de 1993, Lyon, CREDIC, 1995 ; Maurice Cheza (dir.), Les cadres locaux et les ministères consacrés des jeunes Églises (XIX-XXe siècle), session du CREDIC de 1994, Lyon, CREDIC, 1995 ; Maurice Cheza, Monique Costermans et Jean Pirotte (dir.), Nouvelles voies de la mission, 1950-1980, session du CREDIC de 1997, Lyon, CREDIC/AFOM/Centre Vincent Lebbe, 1999 ; Philippe Chanson et Olivier Servais (dir.), Identités autochtones et missions chrétiennes. Brisures et émergences, session du CREDIC-AFOM de 2005, Paris, Karthala, 2006 ; Jaap Van Slageren, Les origines de l’Église évangélique du Cameroun, Yaoundé, Clé, 2008 ; Salvador Eyezo’o, L’émergence de l’Église protestante africaine (EPA-Cameroun) 1934-1959, Yaoundé, Clé, 2010.

34e Colloque du CREDIC

Yaoundé - 26 au 30 août 2013

avec la collaboration du Département d’histoire de l’École Normale Supérieure de l’Université de Yaoundé 1

Yaoundé (Cameroun), la CASBA – Centre d’accueil de la Congrégation du Saint-Esprit

Autonomie et autochtonie des Eglises

Logiques de localisation et d’universalisation en diverses situations missionnaires et post-missionnaires

XIXe - XXIe siècle

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