Joseph Roger de Benoist
(1923-2017)
Missionnaire d’Afrique « Père Blanc », Journaliste, Historien
Par Paul Coulon, membre titulaire de la 1re section de l'Académie des Sciences d'outre-mer
Joseph Roger de Benoist, des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs), est décédé le 14 février 2017. Il était membre du Credic : sa première participation remonte au colloque de Gazzada (septembre 1984) consacré à « la presse chrétienne du Tiers-Monde » et, par la suite, on trouvera neuf autres contributions de sa part dans les actes du Credic. Lors de ses obsèques à l’église de Bry-sur-Marne, le 21 février, l’ancien curé de la cathédrale de Dakar, l’abbé Augustin Diaye, a parlé de lui comme d’un fromager qui est tombé et dont la chute parcourt toute la savane, rendant un vibrant hommage à un homme à la carrière exceptionnelle qui a passé plus de 40 ans en Afrique occidentale, à la fois comme prêtre des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs), comme journaliste et comme historien, directeur de recherche à l’Ifan, l’Institut Fondamental – autrefois Français – d’Afrique Noire.
Né à Meudon le 23 août 1923 dans une famille de tradition militaire, après des études secondaires au Collège Stanislas, il rejoint les Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) en Algérie, à Thibar, en septembre 1941, pour y faire sa philosophie, puis à Maison Carrée (Alger) pour y faire son noviciat. À 20 ans, il est mobilisé dans les Tabors marocains : il fait la campagne d’Italie et participe à la bataille du Monte Cassino, trois ans de guerre qui lui vaudront la Croix de guerre à sa démobilisation le 24 août 1945. Il est ordonné prêtre pour les Pères Blancs à Carthage le 1er février 1950 à la fin de ses études de théologie. Depuis 1947, la Société des Pères Blancs est responsable à Dakar de l’hebdomadaire Afrique Nouvelle, fondée par le P. Paternot. Pour y travailler, le P. Joseph Roger de Benoist est envoyé se former à l’École Supérieure de Journalisme de Lille, puis au Centre des hautes études sur l’Afrique et l’Asie moderne (Cheam) à Paris. Débarqué à Dakar le 15 mai 1952, il devient un journaliste de terrain, sillonnant l’Afrique occidentale en pleine ébullition. Son langage sans langue de bois – ni de buis ! – lui attire des difficultés aussi bien du côté de Mgr Lefebvre, Vicaire apostolique de Dakar et Délégué apostolique pour l’Afrique francophone, qui l’accuse d’être communiste, que du côté du Gouverneur général du Sénégal qui intente un procès au journal devenu une tribune pour tous ceux qui militent pour l’indépendance. Le vicaire apostolique ayant exigé le départ des deux premiers directeurs d’Afrique Nouvelle, le Père de Benoist prend la direction du journal de 1954 jusqu’à 1959 et participe à tous les débats qui s’achèvent par l’Indépendance 1. Ayant passé alors la main à des laïcs, il quitte le Sénégal pour le Mali. Il travaille en brousse puis revient à Bamako pour y créer la librairie Djoliba, centre de réflexion qui, depuis quarante ans, joue un rôle de premier plan dans la capitale malienne. Le temps du Concile Vatican II voit le Père de Benoist revenir à Paris en 1963 comme correspondant de la prestigieuse revue des Pères Blancs Vivante Afrique (qui deviendra Vivant Univers), dont le siège est à Namur en Belgique. Il met au point le projet d’une revue missionnaire commune à tous les instituts missionnaires français, Peuples du monde. Il en est le premier rédacteur en chef, parcourant le monde.
L’Afrique le rappelle sur le terrain. En 1968, Monseigneur Bernardin Gantin – qui devait devenir cardinal en 1977 – le fait venir à Cotonou pour s’occuper de la pastorale familiale, du monde des enseignants et du scoutisme féminin. En 1972, il passe en Haute Volta – devenu Burkina Faso en 1984 – où le cardinal Paul Zoungrana (lui-même membre des Missionnaires d’Afrique) lui demande d’écrire la biographie du Père Goarnisson, célèbre Père Blanc médecin, que la population appelle le Docteur Lumière en raison de son combat contre l’onchocercose, la cécité des rivières 2.
Et voilà qu’à 50 ans, il commence une nouvelle carrière, celle d’historien. Il suit des cours à la Sorbonne et aux Hautes Études en sciences sociales. Son doctorat de 3e Cycle porte sur L’Afrique Occidentale Française de 1944 à 1960 3. Le président Léopold Sédar Senghor souhaitait qu’il rejoigne l’Ifan à Dakar : il y est chercheur à partir de 1978 et soutient en 1985 sa thèse d’État sous la direction de Caherine Vidrovitch. Elle paraîtra aux éditions Karthala en 1987 sous le titre : Église et pouvoir colonial au Soudan français. Administrateurs et missionnaires dans la boucle du Niger (1885-1945) 4 : l’Académie des Sciences d’Outre-Mer décerne à cet ouvrage le prix Robert Delavignette. Devenu Directeur de recherche à l’Ifan en 1990, il se spécialise dans l’histoire de l’île de Gorée. Avec Abdoulaye Camara, il publie en 1992 : Gorée : guide de l’île et du Musée historique, traduit en français, anglais, espagnol et allemand 5 (suivi plus tard, avec le même Abdoulaye Camara, d’une Histoire de Gorée en 2004 6).
En 1994, il prend sa retraite d’enseignant tout en restant à Dakar pour continuer ses recherches et se publications. Très lié au Président Senghor, il publie en 1998 une biographie de ce dernier, accompagné d’une précieuse anthologie de textes, dans la collection « Politiques & Chrétiens », suivie du témoignage d’un autre de ses amis, Cheik Hamidou Kane.
En 2006, à l’âge 83 ans, il rentre en France et rejoint la communauté des Missionnaires d’Afrique à Bry-sur-Marne. Il y termine ce qui sera son dernier ouvrage : une volumineuse Histoire de l’Église catholique au Sénégal. Du milieu du xve siècle à l’aube du troisième millénaire, éditée par Karthala en 2008 7.
Mais Joseph Roger de Benoist n’a pas été uniquement un brillant journaliste, un chercheur acharné et méticuleux dont les travaux publiés sont des sources précieuses pour les africanistes, il a été un prêtre Père Blanc à part entière, ayant pris résidence pendant de nombreuses années au presbytère de la cathédrale de Dakar où il a consacré beaucoup de temps à des engagements pastoraux et missionnaires divers.
Devenu une autorité en son domaine, parcourant le monde de colloque en congrès scientifiques, membre de plusieurs Sociétés Savantes – dont l'Académie des Sciences d'outre-mer – ses mérites ont été reconnus de multiples façons :
Par la France : il est Croix de guerre 1939-1945 ; Chevalier de la Légion d’Honneur en 1988, puis Officier de la Légion d’Honneur en 1997.
Par le Bénin : il est Officier de l’Ordre national du Dahomey.
Par le Sénégal : après sa retraite universitaire, il est nommé conservateur honoraire des Musées de l’IFAN. En 2002, l’Université lui rend hommage pour le cinquantenaire de son arrivée au Sénégal ; à cette occasion l’État sénégalais l’a élevé à la dignité de Commandeur de l’Ordre national du Lion.
Sur l’histoire du journal, voir : Annie Lenoble-Bart, Afrique Nouvelle. Un hebdomadaire catholique dans l’histoire, 1947-1987, Talence, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 1996.
Docteur Lumière, Quarante ans au service de l’homme en Haute Volta (le P.Goarnisson), préface du cardinal Paul Zoungrana, Paris, Édition S.O.S., 1975 (Minerve d’Or de la Société d’Encouragement au Bien).
L’Afrique Occidentale Française de 1944 à 1960, Dakar, Nouvelles Editions Africaines, 1983, préface de Amadou Mahtar Mbow, directeur général de l’Unesco (réédité en 1994 avec le concours de la Coopération française). À noter qu’il avait publié à Dakar en 1979 : La Balkanisation de l’Afrique Occidentale Français, Nouvelles Éditions Africaines, 1979, préface de Léopold Sédar Senghor (réédité en 1994 avec le concours de la Coopération française).
Église et pouvoir colonial au Soudan français : administrateurs et missionnaires dans la Boucle du Niger (1885-1945), Paris, Karthala, 1987 préface de Catherine Coquery-Vidrovitch.
Gorée : guide de l’île et du Musée historique (avec Abdoulaye Camara), Dakar, IFAN Ch.Anta Diop, 1992.
Histoire de Gorée (avec Abdoulaye Camara), Paris, Maisonneuve et Larose, 2004.
Histoire de l’Église catholique au Sénégal. Du milieu du XVe siècle à l’aube du troisième millénaire, Paris, Karthala, 2008 (Collection « Mémoire d’Églises »).
Sources :
Notice sur le site des Pères blancs.