Paule Brasseur

(1925-2022)


Quelques lignes sur « Madame Brasseur »

Par Paul Coulon

Lorsque je suis rentré de la République populaire du Congo en juin 1979, je me suis immédiatement inscrit à l’Institut catholique de Paris au séminaire de doctorat de Bernard Plongeron et au TD de René Luneau sur l’Afrique, et, en DEA, à Paris IV avec Jean-Marie Mayeur, tout cela pour préparer une thèse sur l’histoire de l’Église au Congo. Bernard Plongeron m’a fait inscrire au Colloque sur « les réveils missionnaires en France du Moyen-Âge à nos jours (XIIe-XXe siècles) » qui se tenait à Lyon du 29 au 31 mai 1980, organisé par la Société d’histoire ecclésiastique de la France avec le concours de la Société d’histoire du protestantisme français. Et c’est là que j’ai fait ma première rencontre avec deux personnes qui allaient beaucoup compter pour moi dans les dizaines d’années suivantes : le professeur Jacques Gadille (1927-2013) et Madame Paule Brasseur (1925-2022)… Mais pas uniquement : c’est là aussi que j’ai entendu pour la première fois une communication de Claude Prudhomme. Faut-il rappeler que le Crédic venait juste d’être fondé, le 18 septembre 1979 ?

Madame Brasseur a bien voulu s’intéresser à moi parce que j’étais à la fois Spiritain et que je résidais à Chevilly-Larue, commune limitrophe de L’Haÿ-les-Roses où elle habitait avec son géographe de mari, Gérard Brasseur. Les Spiritains, elle les avait beaucoup fréquentés pendant toutes ses années à Dakar, où Gérard avait été nommé en 1959 responsable du département de géographie à l’IFAN (Institut Français – puis Fondamental – d’Afrique Noire), après avoir été en poste au Dahomey 1. Mais elle avait également beaucoup fréquenté les Pères Blancs, Monsieur Brasseur ayant été directeur du centre universitaire de Bamako dans ce qui était alors le Soudan français avant de devenir le Mali en 1958… Dahomey, Soudan et Sénégal : Paule Brasseur pour l’histoire et Gérard Brasseur pour la géographie connaissaient de l’intérieur l’Afrique de l’Ouest où ils ont passé une vingtaine d’années.

Les Brasseur quittent le Sénégal en 1968, année qui fut agitée à Dakar et pas seulement à Paris. Au moment où je la rencontre, en 1980, elle est à ce que j’ai compris assistante du professeur Henri Brunschwig (1904-1989) pour son séminaire à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Celui-ci, ancien professeur à l’ENFOM (École nationale de la France d’Outre-Mer) est devenu un des premiers historiens s’intéressant à l’Afrique, avec des ouvrages marquants 2. En 1988, Madame Brasseur devient chargée de conférences à l’EHESS comme spécialiste de l’Afrique de l’Ouest.

À la demande de ma congrégation, en 1986, je commence la préparation d’un volume sur Libermann qui devait paraître en 1988 aux éditions du Cerf 3. Dans l’introduction, on pouvait lire : « Dès le départ, ce projet s’est pensé comme une œuvre de collaboration entre spiritains et universitaires, symbolisée par la double direction du volume : Paul Coulon, spiritain, du séminaire des Missions de Chevilly-Larue, et Paule Brasseur, de l’école des hautes études en sciences sociales (Paris). Privilégiant l’approche historique, il s’agissait en quelque sorte de rapatrier l’histoire chez les libermanniens et Libermann chez les historiens ! » Alors novice en tout et n’ayant pas encore soutenu ma thèse, j’avais bien besoin des compétences de Madame Brasseur en matière d’édition et pour ce qui concernait l’histoire d’Afrique dans le premier XIXe siècle. Madame Brasseur fréquentait assidument les archives générales spiritaines – alors 30 rue Lhomond avec le P. Bernard Noël – et elle avait publié quelques articles majeurs les concernant.

Paule Brasseur a publié peu de livres sous son nom, mais nombreuses sont ses contributions à des colloques dans le cadre de l’École française de Rome, de l’Institut d’Histoire du Temps Présent et de la Fondation Charles de Gaulle (les « colloques Ageron »), sans parler du Crédic dont elle était membre quasiment depuis les origines en 1979-1980 (7 contributions de 1983 à 1998 4)…

Sans doute parce que son mari est géographe et alors qu’ils sont au Dahomey, c’est dans une revue de géographie qu’elle publie sous son double nom Paule Brasseur-Marion, le plus ancien article que j’ai retrouvé d’elle : « Cotonou, port du Dahomey », Les Cahiers d’Outre-Mer, n° 24, octobre-décembre 1953, p. 364-378. Dans le cadre de l’IFAN, elle publie Bibliographie générale du Mali, anciens Soudan français et haut Sénégal-Niger, des origines à 1961 (Dakar, Nouvelles Éditions Africaines, 1964), continuée jusqu’en 1970 (Dakar, IFAN,1976). Avec son ami Jean-François Maurel (1927-2015) – archiviste à Dakar avant de devenir Conservateur en chef du Centre des archives d’outre-mer, Aix-en-Provence (1976) –, elle publie à Dakar, en 1970, Les sources bibliographiques de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique équatoriale d'expression française.

Chercheuse jamais rassasiée et d’une grande rigueur méthodologique, Paule Brasseur a donné beaucoup d’articles à de nombreuses revues. Publications de la Société Française d’Histoire d’Outre-Mer (2 publications de 1981 à 1990) ; Cahiers d'Études africaines (3 publications de 1975 à 1998) ; Journal des Africanistes (4 publications de 1971 à 1985) ; Mélanges de l'école française de Rome (3 publications de 1989 à 1997). Mais son engagement majeur a concerné la Société Française d’Histoire d’Outre-Mer (SFHOM) : elle en a été vice-présidente pendant des années et à la Revue française d’histoire d’outre-mer (devenue en 2002 Outre-Mers), elle a donné plus de 200 comptes rendus de 1970 à 2003.

Et, bien entendu, lorsque j’ai lancé la revue Mémoire Spiritaine, elle en a soutenu la naissance, s’y est abonné et, de 1995 à 1999, y a donné 6 recensions et 3 articles, dont un en 1998, « De l’abolition de l’esclavage à la colonisation de l’Afrique », qui résumait parfaitement ses principaux centres d’intérêt : l’Afrique de l’Ouest au premier dix-neuvième siècle, les missionnaires notamment spiritains, et la question de l’esclavage et de son abolition. Ce sont d’ailleurs ces thèmes qui étaient au centre de sa grande thèse d’État à laquelle elle a travaillé pendant des années et qu’elle s’apprêtait à finaliser avec le Professeur Marc Michel en se battant avec son ordinateur… Cela ne se fera pas car les problèmes de santé ont pris le dessus chez elle, au début des années 2000, après le décès de son mari en 1998 et son déménagement de L’Haÿ-les-Roses à l’avenue du Général Leclerc dans le XIVe à Paris, à deux pas de la communauté de ses amis Pères Blancs, rue Friant.

Au cours des dizaines d’années pendant lesquelles j’ai connu Madame Brasseur, j’ai eu de nombreuses occasions de passer à ses différents domiciles, cependant que de son côté elle venait aux archives générales spiritaines à Chevilly et, avec son ami Philippe Laburthe-Tolra, fréquentait assidument les annuelles journées d’amitiés spiritaines au 30 rue Lhomond à Paris. À remarquer que je parle toujours de « Madame Brasseur » car il ne me serait jamais venu à l’idée de l’appeler par son prénom ou de la tutoyer, ce qu’elle ne faisait jamais elle-même… C’était une personne très distinguée et d’une grande réserve : elle ne s’étalait jamais en confidences personnelles… Elle apparaissait très fidèle en amitié : avec le Père Bernard Noël, archiviste général des Spiritains avec lequel elle a beaucoup travaillé jusqu’à son décès en 1987 ; avec Mgr Morvan, l’évêque de Cayenne qui, lors de ses passages en France, me demandait toujours de la conduire chez les Brasseur car il avait gardé des liens avec le géographe Gérard Brasseur qui avait été chargé par l’Institut Géographique National d’établir l’Atlas de la Guyane. Elle était aussi d’une immense serviabilité pour les jeunes chercheurs africains qui venaient lui demander conseil pour l’orientation de leurs travaux. Sa participation à de nombreux colloques – et notamment à ceux du Crédic – montrait toute l’importance qu’elle accordait à la mise en réseau des connaissances et plus encore aux relations personnelles qu’elle entretenait à cette occasion. Monsieur Brasseur l’accompagnait souvent et se révélait être un personnage haut en couleurs et très sympathique.

C’est un peu avec le cœur serré que j’ai participé au déménagement de son appartement Avenue du Général Leclerc lorsqu’elle a dû se rendre dans une maison de retraite, d’où elle a gagné ensuite la « Villa Ferrari », un EHPAD de Clamart où elle est décédée le 26 octobre 2022, à 97 ans 5.