René Luneau

(1932-2020)

Par Annie Lenoble-Bart. Avec la participation de Jean-François Zorn

René (Bertrand) Luneau, né en 1932 à Nantes, s’en est allé le 17 avril 2020, victime de l’épidémie du coronavirus. Depuis quelques années déjà, il n’animait plus les discussions au CRÉDIC, puisqu’il avait dû se réfugier en EHPAD, quittant son couvent dominicain Saint Jacques où il avait accumulé ses richesses sur l’Afrique. Il ne me demandait plus si les étoiles des ciels de Dordogne étaient toujours aussi lumineuses : elles l’avaient enchanté lorsque nous l’avions hébergé, dans un hameau sans lampadaire, au moment du colloque du CRÉDIC de Brive, en 2010. Je n’ai retrouvé qu’une de mes réponses : « on y sera pour la nuit des étoiles filantes et on pensera à toi. Chaque fois qu'on y regarde le ciel on évoque ton enthousiasme pour l'état de notre voûte céleste ! »

Cet enthousiasme, on le retrouvait à chacune de nos réunions du Conseil d’administration à Paris auquel il participait comme ami invité ou dans les colloques annuels du CREDIC, où il apportait son expertise, son regard passionné mais également son esprit de contradiction !

Après quelques années en Afrique de l’ouest, cet ethno-sociologue a soutenu, à l’École Pratique des Hautes Études, d’abord un mémoire sur « le mariage coutumier dans la société bambara ». Il lui a valu un rapport très élogieux de Claude Lévi-Strauss (reproduit dans la réédition de son livre Chants de femmes au Mali, Karthala, 2010). Sa thèse de doctorat d’État, Les chemins de la noce. La femme et le mariage dans la société rurale au Mali (1975) approfondissait le thème. Devenu chercheur au CNRS, jusqu’en 1997, dans le Groupe de sociologie des religions, il enseignait aussi à l'Institut catholique de Paris.

En 1962, dans le cadre du Centre culturel Saint Dominique de Dakar, avait été lancé Afrique et parole. Bulletin de correspondance, avec des linguistes et des ethnologues, « pour une meilleure traduction de la Parole dans les langues africaines » (n°1) 1. Le thème avait ensuite été un peu élargi en vue d’« une meilleure expression de la Parole dans les cultures africaines » (n°13). René y collaborait puis y a pris une place de plus en plus importante à partir de 1965. En 1969, de trimestrielle, la publication devient semestrielle : « La rédaction, repose, pour l’essentiel, sur la collaboration de J.-L. Doneux et de B. Luneau. Les nécessités du travail de recherche ont obligé pour un temps ceux-ci à quitter Dakar. […] Il eut été sans doute plus simple de cesser momentanément la publication. Cependant, il s’agit d’un outil de travail pour nous tous et le travail demeure… C’est pourquoi nous avons décidé […] de publier DEUX numéros par an […] plus volumineux […]. » (n°28). La composition quitte Dakar en 1972 et, peu à peu, René Luneau reste seul à faire perdurer une simple feuille, jusqu’en 2015, avec l’aide, pour la diffusion, des Dominicaines du Monastère Ste-Catherine de Langeac (en Haute-Loire), avant qu’internet ne le rende plus autonome. Plus de cent numéros, en 45 ans, d’Afrique et parole ont ainsi été envoyés à ses lecteurs dispersés dans le monde (il me signalait 175 destinataires en 2011). Il y faisait une revue des publications qui pouvaient intéresser ses interlocuteurs tout en (r)ouvrant des controverses qui lui étaient chères, privilégiant les approches de terrain, donnant la parole à ceux qui, en situation, affrontaient des questions concrètes ou plus théologiques voire philosophiques. Sa prédilection pour l’interactivité ne s’est jamais démentie. Il écrivait dès le numéro 12 que le titre « restera un Bulletin de correspondance, il ne deviendra pas une revue ». Il précisait ensuite : « la participation de nos correspondants est essentielle plus que jamais à la poursuite du programme : ce sont leurs lettres, leurs remarques, leurs communications orales qui nous permettent d’assurer le dialogue entre la recherche à terme et les besoins immédiats, rendus plus urgents par le Concile ».

Ce sont les échanges qui le passionnaient et le nourrissaient ainsi que les nombreux voyages qu’il effectuait régulièrement. Les grandes questions qui interrogent l’Afrique – le sida, la pauvreté, les pratiques traditionnelles et bien d’autres – sont évoquées, discutées au travers de contributions fournies par les uns ou les autres, mais aussi par les lectures du rédacteur.

Parallèlement, René Luneau a écrit de très nombreux ouvrages. En collaboration, par exemple avec Louis-Vincent Thomas, La terre africaine et ses religions. Tradition et changement (Paris, Larousse, 1975 et Paris, L’Harmattan, 1992), Les religions d’Afrique noire, (Paris, Stock, 1995). Il serait difficile de citer tous les titres qu’il a publiés seul, surtout chez Karthala où il était directeur de la collection « Chrétiens en liberté/Questions disputées », titre qui lui allait si bien, lui le Frère dominicain non conformiste ! On peut citer, pêle-mêle, Laisse aller mon peuple, Églises africaines au-delà des modèles ? (Paris, Karthala, 1986), Paroles et silence du synode africain (Paris, Karthala, 1997), etc.

Il se passionnait aussi pour les paraboles qui l’ont beaucoup inspiré. Il aimait les adapter à notre monde contemporain pour lequel il avait beaucoup de tendresse. Plus globalement, il s’interrogeait sur l’avenir du catholicisme puisque Tous les chemins ne mènent plus à Rome (Paris, Albin Michel, 1995) et, d’une façon plus générale, sur le christianisme : Jésus, l'homme qui évangélisa Dieu (Paris, Seuil, 1999) ou avec son dernier ouvrage Dieu, au plus près de l’homme. Comme dans l’arbre monte la sève…, (Paris, Karthala, 2013), en sont quelques témoins. Pas étonnant qu’il ait reçu un hommage de l’Institut Protestant de Théologie qui souligne, qu’après le décès du Père Luneau, le monde de la missiologie francophone est en deuil. Son souci majeur est bien resté, jusqu’au bout, de Comprendre l’Afrique. Évangile, modernité, mangeurs d’âme (Paris, Karthala, 2002). De ce livre, André Mary a écrit : « Le corpus le plus riche [de cet ouvrage] est celui de ces témoignages et confidences d’amis, missionnaires, prêtres, religieux, théologiens, en un mot de tous ces agents religieux engagés dans des expertises pastorales en matière de santé ou dans des ministères de voyance et de délivrance, pas tous aussi célèbres que le père Éric de Rosny. À l’heure où les historiens redécouvrent tout l’intérêt des journaux et récits missionnaires pour l’élucidation des enjeux de la conversion et de l’évangélisation, il n’est pas si évident pour les sociologues et anthropologues des christianismes africains, plus familiers des prophètes guérisseurs, de pouvoir accéder aussi directement aux discours et préoccupations des agents ministériels des Églises officielles 2. »